Le Duel du XXIe siècle : Islam et Humanisme athée, ou l’affrontement des abstractions sans Médiateur

Le XXIe siècle s’avance comme un théâtre déserté par le Médiateur. Le Christianisme historique, qui portait la dialectique vivante entre le fini et l’infini, semble entrer dans une forme d’effacement. Ce retrait n’est pas simplement institutionnel, il est symbolique. La figure qui autorisait la reconnaissance réciproque entre Dieu et l’homme se fait silencieuse, presque translucide. Dans ce vide croissant surgissent deux puissances que tout oppose et qui pourtant se répondent : l’Islam, figure de l’Absolu indifférencié, et l’humanisme athée, expression d’un Sujet qui veut porter seul tout le poids de la transcendance qu’il a congédiée.

Ces deux forces ne sont pas symétriques, mais elles sont corrélatives. Elles s’affrontent parce qu’elles sont les deux moitiés d’une totalité perdue. Leur antagonisme n’a rien d’un dialogue. C’est une collision frontale de principes incompatibles, des principes qui n’ont plus de médiation supérieure pour les ramener à la raison spéculative.

I. L’Islam comme Absolu sans incarnation

Si l’on suit la lecture vieil-hégélienne, l’Islam représente le moment où l’Esprit se saisit comme Unité pure, comme absoluité indifférenciée. L’homme n’existe qu’en s’effaçant. Le fini ne vaut que comme serviteur d’une transcendante Lumière qui n’admet ni altération ni incarnation. La distance entre Dieu et l’homme est abyssale. Aucune médiation, aucun tiers, aucune filiation possible.

Cette structure métaphysique produit un type de rapport au monde où la singularité n’a pas droits propres. L’enthousiasme religieux se moule dans un absolu si gelé qu’il en devient facilement violent, car ce qui n’a pas de valeur ontologique peut être sacrifié sans se sentir coupable. L’Islam, dans cette perspective, n’est pas mauvais. Il est incomplet. Il n’a pas accompli le passage décisif dans lequel Dieu assume la fragilité humaine et où l’homme, en retour, reçoit la dignité d’une liberté divine.

II. L’humanisme athée comme Sujet déchaîné

En face, l’humanisme athée occidental, qu’il soit matérialiste ou idéaliste romantique, procède d’un geste inverse. Il congédie la transcendance, soit par réduction de l’homme au travail (version marxiste), soit par glorification de l’homme comme centre moral de l’univers (version républicaine déiste). Le résultat est identique : le fini se prend pour l’infini. L’humanité devient son propre absolu. L’homme veut être le père de lui-même. C’est la tentation constante de l’auto-engendrement, forme politique de l’hubris moderne.

Cette posture conduit à un vide spirituel que la technique essaie de combler, sans y parvenir. Le monde devient administré, policé, régi par des normes d’efficacité. Le désir est aplati, l’angoisse soigneusement anesthésiée. La liberté se transforme en délire de maîtrise qui nie la limite au lieu de la penser. L’homme moderne se croit solide, mais il est poreux. Il n’a plus de colonne vertébrale symbolique. Il flotte, livré à l’individualisme et à l’abstraction légale.

III. Un conflit sans dépassement possible

Lorsque l’Absolu sans incarnation affronte le Sujet qui refuse toute transcendance, la dialectique se grippe. Il n’y a plus de médiation, plus d’Esprit commun, plus d’espace pour une synthèse. Nous avons deux monolithes face à face : un Dieu sans homme (Islam) et un homme sans Dieu (Humanisme). L’un accuse l’autre de blasphème, l’autre accuse le premier d’archaïsme. Chaque camp voit dans l’autre la pointe extrême de ce qu’il déteste. Ils sont incompatibles, non parce que l’un serait violent et l’autre pacifique, mais parce qu’ils incarnent deux formes d’abstraction qui ne peuvent pas se reconnaître mutuellement.

L’humanisme athée répond à l’Islam par des valeurs qui ne convainquent personne hors du cercle occidental. L’Islam réplique par une radicalité qui sidère l’homme moderne mais ne le convertit pas. C’est un conflit de sourds. Chacun ne parle que sa propre langue. La médiation chrétienne, qui aurait pu offrir un langage commun, est absente. Ou plutôt : elle n’est plus audible.

IV. Le risque d’une spirale

Ce duel n’est pas un équilibre des forces. C’est une spirale. L’humanisme athée désagrège les sociétés traditionnelles musulmanes par sa technologie, son droit, sa culture, son relativisme. L’Islam réagit en se durcissant, en se faisant plus littéral, plus identitaire, plus tranchant. L’Occident, de son côté, se dissout dans une liberté sans finalité, tandis que l’Islam se ferme dans une transcendance sans humanité. Aucun ne peut prendre la place du Christianisme. Aucun ne peut assumer la tâche de tenir ensemble le fini et l’infini.

Le monde risque alors de devenir le champ de bataille de deux illusions complémentaires. L’humanisme croit pouvoir absorber le religieux dans le social. L’Islam croit pouvoir absorber le social dans le religieux. Dans les deux cas, l’essentiel manque : la reconnaissance réciproque entre Dieu et l’homme.

Conclusion

Si le Christianisme continue son retrait, le monde ne se sécularisera pas davantage. Il se fracturera. L’humanisme athée ne peut offrir qu’une liberté vide, l’Islam ne peut offrir qu’une Loi sans incarnation. Leur affrontement n’est pas un débat théologique mais un choc métaphysique. Une lutte entre deux principes incomplets qui se renvoient l’un à l’autre leur propre limite. Sans le Médiateur, la dialectique tourne à vide. L’Histoire continue, mais comme un moulin affolé qui a perdu son axe.

Le siècle qui vient pourrait bien être celui d’une humanité orpheline, partagée entre une transcendance sans amour et une liberté sans lumière. À moins que le christianisme, loin d’être mort, prépare silencieusement son retour. Non comme institution, mais comme structure symbolique profonde, seule capable d’unir Dieu et l’homme sans détruire ni l’un ni l’autre.

François-Yassine Mansour

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